La poésie des petites choses : regarder l’Inde rurale, avant qu’elle ne disparaisse
Dans
les premières années du XXIe siècle, le journaliste Palagummi
Sainath,
spécialiste du monde rural au quotidien The Hindu, se rend compte
que
la
modernisation accélérée de l'Inde est une menace pour ce qui rend ce pays unique : sa biodiversité de paysages, d’artisanats, de dialectes ou
d’habitats. En 2011, il crée alors un site
collaboratif, destiné à mettre en ligne tout ce qui raconte l'Inde
rurale, avant qu’une partie de sa riche
diversité ne
disparaisse.
Aujourd’hui,
le People's Archive of Rural India (PARI)
est
une
encyclopédie
vivante,
qui parle, vibre et
grandit
chaque jour, grâce
aux photos, aux reportages, aux vidéos de dizaines de journalistes et d'étudiants.
Éditée
en
dix langues, c’est
la
chronique des
petites choses qui font
l’Inde
des
villages. La
seule Inde
véritable, disait Gandhi. Celle des
toits de hutte en palme. Des
fêtes,
les
sports populaires,
les
chansons
entonnées aux champs. Celle des poèmes
écrits
par un conteur dalit (intouchable) oublié. Des tribus qui se battent pour sauver leurs jal,
jungle, zameen (eau,
forêts, terres). Des
cueilleurs
de noix de coco, des
éleveurs
de vers à soie, des pêcheurs itinérants. Des
derniers combattants de l’Indépendance ou des
derniers
tigres. Et des
trains
hérités du Raj, comme
celui
qui relie Sheopur à Gwalior, à la vitesse respectable de de 18km/h.
Le site a aussi entrepris de fixer pour toujours les visages. Des
milliers de visages qui sont l’ADN de la diversité ethnique de
l’Inde. Il peint des portraits de femmes,
des potières, des fermières, toutes détentrices
de savoirs
centenaires. Et
raconte la
dette, la pauvreté, les
mille petits combats pour survivre. Et les mille
petites solidarités.
Le "prix Nobel de
l’Asie"
Unique au monde, cette archive collaborative est une ressource anthropologique précieuse pour les étudiants, les enseignants, les chercheurs. Il y avait urgence : la croissance rapide des villes, des routes, des périphéries urbaines, est en train d’avaler et de dénaturer ce tissu rural où vivent encore les deux-tiers de la population indienne.
Il y a quelques années, un hebdomadaire français a décrit "comment la France est devenue moche", quand la modernité a défiguré ses campagnes et hypertrophié ses périphéries urbaines. L’Inde est en train de suivre la même évolution. Et internet est devenu le dernier refuge d’une beauté qui disparaît.
© Bénédicte Manier
(ce
blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent aucunement
l'AFP, où l'auteure est journaliste)
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